
La notion de prescription de la faute disciplinaire constitue un mécanisme fondamental du droit disciplinaire français. Ce concept juridique, qui limite dans le temps la possibilité d’engager des poursuites contre un agent fautif, représente un équilibre délicat entre la nécessité de sanctionner les comportements répréhensibles et le droit à la sécurité juridique. Dans un contexte où les relations professionnelles sont de plus en plus encadrées par le droit, la compréhension des mécanismes de prescription devient primordiale tant pour les employeurs que pour les salariés. Cette analyse approfondie explore les fondements, les régimes applicables et les implications pratiques de la prescription en matière disciplinaire.
Fondements juridiques et principes directeurs de la prescription disciplinaire
La prescription en matière disciplinaire trouve son ancrage dans plusieurs textes fondamentaux qui structurent notre ordre juridique. Au premier rang figure l’article 8 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen qui pose le principe de non-rétroactivité et de légalité des peines. Ce principe constitutionnel irrigue l’ensemble du droit répressif, y compris le droit disciplinaire.
Dans le secteur privé, c’est principalement l’article L1332-4 du Code du travail qui régit la prescription des fautes disciplinaires. Ce texte prévoit qu’aucune sanction disciplinaire ne peut être prise à l’encontre d’un salarié plus de deux mois après que l’employeur a eu connaissance de la faute commise. Cette règle s’inscrit dans une logique de protection du salarié contre l’arbitraire patronal et l’insécurité juridique qu’engendrerait une menace de sanction perpétuelle.
Pour la fonction publique, le régime est différent et varie selon les statuts. La loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires pose le cadre général, complété par des dispositions spécifiques à chaque versant de la fonction publique. Le Conseil d’État a dégagé un principe général selon lequel aucune action disciplinaire ne peut être engagée au-delà d’un délai raisonnable après la découverte des faits fautifs.
La distinction entre prescription de l’action et prescription de la sanction
Une distinction fondamentale doit être opérée entre la prescription de l’action disciplinaire et celle de la sanction elle-même :
- La prescription de l’action concerne le délai pendant lequel l’employeur ou l’administration peut engager des poursuites disciplinaires
- La prescription de la sanction régit la durée pendant laquelle une sanction prononcée peut produire des effets juridiques
Cette distinction revêt une importance pratique considérable. En effet, une faute dont l’action disciplinaire est prescrite ne peut plus faire l’objet de poursuites, tandis qu’une sanction prescrite ne peut plus être exécutée ou prise en compte, notamment pour la récidive.
Le droit disciplinaire se caractérise par son autonomie vis-à-vis du droit pénal, bien qu’il s’en inspire fortement. Ainsi, la prescription d’une infraction pénale n’entraîne pas automatiquement celle de la faute disciplinaire correspondante. La Cour de cassation a régulièrement confirmé cette autonomie, rappelant que les faits constitutifs d’une infraction pénale prescrite peuvent néanmoins justifier une sanction disciplinaire si les délais propres à cette action ne sont pas expirés.
Cette autonomie trouve sa justification dans la différence fondamentale d’objet entre les deux actions : l’action pénale vise à réprimer une atteinte à l’ordre social, tandis que l’action disciplinaire sanctionne un manquement aux obligations professionnelles.
Régimes spécifiques de prescription selon les secteurs d’activité
Les règles de prescription varient considérablement selon les secteurs d’activité et les statuts professionnels. Cette diversité reflète les particularités de chaque profession et les exigences propres à chaque environnement de travail.
Le régime dans le secteur privé
Dans le secteur privé, le délai de prescription de deux mois prévu par l’article L1332-4 du Code du travail constitue la règle générale. Ce délai court à compter du jour où l’employeur a eu connaissance des faits fautifs, et non du jour où ces faits ont été commis. Cette distinction est capitale et a donné lieu à une abondante jurisprudence de la Chambre sociale de la Cour de cassation.
La connaissance des faits s’apprécie au niveau de l’employeur ou de son représentant ayant le pouvoir disciplinaire. Ainsi, dans un arrêt du 17 mars 2015, la Cour de cassation a précisé que la connaissance des faits par un simple supérieur hiérarchique sans pouvoir disciplinaire ne fait pas courir le délai de prescription.
Certaines conventions collectives peuvent prévoir des délais différents, généralement plus favorables au salarié. Par exemple, la convention collective nationale des bureaux d’études techniques (SYNTEC) prévoit un délai d’un mois seulement.
Le point de départ du délai peut être reporté en cas de faute continue ou de découverte progressive des faits. Ainsi, pour des faits d’harcèlement moral s’étalant dans le temps, la prescription ne commence à courir qu’à partir du dernier agissement fautif connu.
Les spécificités de la fonction publique
Dans la fonction publique, le régime de prescription diffère sensiblement. Pendant longtemps, aucun texte ne fixait de délai de prescription des fautes disciplinaires, laissant au juge administratif le soin de dégager un principe général.
La loi du 20 avril 2016 relative à la déontologie et aux droits et obligations des fonctionnaires a comblé cette lacune en introduisant un délai de prescription de trois ans à compter du jour où l’administration a eu connaissance des faits passibles de sanction. Ce délai s’applique aux trois versants de la fonction publique : État, territoriale et hospitalière.
Une particularité notable concerne les faits constitutifs d’un crime ou d’un délit : dans ce cas, le délai de prescription disciplinaire s’aligne sur celui de l’action publique. Cette règle, codifiée à l’article 19 de la loi du 13 juillet 1983, introduit une forme de connexité entre l’action disciplinaire et l’action pénale.
Pour les agents contractuels de la fonction publique, le régime applicable est celui prévu par le décret du 15 février 1988, qui fixe un délai de prescription de deux ans à compter de la commission des faits, sauf lorsque ces faits ont donné lieu à poursuites pénales.
Les professions réglementées et leurs particularismes
Les professions réglementées (avocats, médecins, notaires, etc.) obéissent à des régimes disciplinaires spécifiques, avec leurs propres règles de prescription.
Pour les avocats, l’article 23 de la loi du 31 décembre 1971 prévoit un délai de prescription de trois ans à compter de la commission des faits ou de leur découverte. La jurisprudence du Conseil d’État a précisé que la découverte s’entend de la connaissance acquise par l’autorité ayant le pouvoir de mettre en mouvement l’action disciplinaire.
Concernant les professions médicales, l’article L4124-6-1 du Code de la santé publique fixe un délai de prescription de trois ans à compter des faits, ou de leur révélation à l’ordre professionnel. Toutefois, lorsque les faits sont susceptibles de recevoir une qualification pénale, la prescription disciplinaire s’aligne sur la prescription pénale.
Ces régimes spécifiques témoignent de la nécessité d’adapter les règles de prescription aux exigences particulières de chaque profession, notamment en termes de déontologie et de protection du public.
L’interruption et la suspension de la prescription disciplinaire
Les mécanismes d’interruption et de suspension de la prescription constituent des éléments essentiels du régime juridique de la faute disciplinaire prescrite. Ces dispositifs permettent, dans certaines circonstances, de prolonger le délai durant lequel une action disciplinaire peut être engagée.
Les causes d’interruption de la prescription
L’interruption de la prescription a pour effet d’annuler le délai déjà écoulé et de faire courir un nouveau délai de même durée. En matière disciplinaire, plusieurs actes peuvent interrompre la prescription :
- L’engagement d’une procédure disciplinaire, matérialisé par la convocation à un entretien préalable dans le secteur privé ou par la saisine du conseil de discipline dans la fonction publique
- Les actes d’instruction accomplis dans le cadre d’une enquête disciplinaire
- La reconnaissance des faits par le salarié ou l’agent public concerné
Dans un arrêt du 11 juillet 2019, la Cour de cassation a précisé que l’envoi d’une lettre recommandée annonçant l’ouverture d’une enquête interne interrompt le délai de prescription de deux mois prévu par le Code du travail.
Pour les fonctionnaires, le Conseil d’État a jugé dans une décision du 14 juin 2021 que la désignation d’un rapporteur par le conseil de discipline constitue un acte interruptif de prescription. Cette jurisprudence illustre l’approche pragmatique adoptée par les juges pour identifier les actes manifestant une volonté réelle de poursuivre.
La suspension de la prescription et ses effets
Contrairement à l’interruption, la suspension de la prescription a pour effet d’arrêter temporairement le cours du délai sans l’effacer. À la fin de la cause de suspension, le délai reprend où il s’était arrêté.
Plusieurs situations peuvent entraîner la suspension de la prescription disciplinaire :
- L’existence d’une procédure pénale en cours pour les mêmes faits
- L’impossibilité d’agir due à un cas de force majeure
- La maladie ou l’absence légitime du salarié ou de l’agent public
La jurisprudence a apporté d’importantes précisions sur ces causes de suspension. Ainsi, dans un arrêt du 3 avril 2019, la Chambre sociale de la Cour de cassation a jugé que l’arrêt maladie d’un salarié ne suspend pas automatiquement le délai de prescription, à moins qu’il ne constitue un obstacle insurmontable à l’engagement de la procédure disciplinaire.
Dans la fonction publique, le Conseil d’État admet plus largement la suspension de la prescription en cas de procédure pénale parallèle. Cette solution se justifie par le principe selon lequel « le criminel tient le civil en l’état » et par la nécessité pour l’administration de connaître la qualification pénale des faits pour apprécier leur gravité disciplinaire.
L’articulation entre ces deux mécanismes – interruption et suspension – peut s’avérer délicate en pratique. C’est pourquoi la jurisprudence s’efforce de clarifier les conditions d’application de chacun, dans un souci de sécurité juridique pour l’ensemble des acteurs concernés.
Les conséquences juridiques de la faute disciplinaire prescrite
La prescription d’une faute disciplinaire engendre des conséquences juridiques significatives qui affectent tant les droits de l’employeur ou de l’administration que ceux du salarié ou de l’agent public concerné.
L’extinction de l’action disciplinaire
La principale conséquence de la prescription est l’extinction définitive de l’action disciplinaire. Une fois le délai de prescription expiré, l’employeur ou l’administration perd irrévocablement le droit de sanctionner la faute concernée.
Cette extinction revêt un caractère d’ordre public, ce qui signifie qu’elle peut être soulevée à tout moment de la procédure, y compris pour la première fois devant la Cour de cassation ou le Conseil d’État. Le juge peut même la relever d’office, sans que les parties n’aient à l’invoquer explicitement.
Dans un arrêt du 27 novembre 2019, la Chambre sociale de la Cour de cassation a rappelé que la prescription disciplinaire constitue une fin de non-recevoir péremptoire qui entraîne l’annulation de toute sanction prononcée pour des faits prescrits. Cette solution illustre la rigueur avec laquelle les juges appliquent les règles de prescription, dans un souci de protection des droits de la défense.
L’impossibilité d’invoquer les faits prescrits
Une faute disciplinaire prescrite ne peut plus servir de fondement à une sanction, mais la question se pose de savoir si elle peut être évoquée dans d’autres contextes. La jurisprudence a apporté plusieurs précisions à cet égard.
En premier lieu, des faits prescrits ne peuvent pas être invoqués pour caractériser une récidive justifiant une sanction plus sévère pour une nouvelle faute. La Cour de cassation a clairement affirmé ce principe dans un arrêt du 5 février 2020, considérant que tenir compte de faits prescrits pour aggraver une sanction reviendrait à contourner la prescription.
En revanche, des faits prescrits peuvent être mentionnés, à titre de contexte, dans la motivation d’un licenciement fondé sur des faits non prescrits. Cette solution, dégagée par la Chambre sociale dans un arrêt du 16 mars 2017, permet à l’employeur d’éclairer le contexte dans lequel s’inscrit la faute non prescrite, sans pour autant sanctionner directement les faits prescrits.
Dans la fonction publique, le Conseil d’État adopte une position similaire, distinguant entre la sanction directe de faits prescrits, qui est prohibée, et leur évocation contextuelle, qui peut être admise sous certaines conditions.
La prescription et le dossier du salarié ou de l’agent
Une question pratique importante concerne la mention des fautes prescrites dans le dossier du salarié ou de l’agent public. Sur ce point, la règle diffère selon le secteur.
Dans le secteur privé, l’article L1332-5 du Code du travail prévoit qu’aucune sanction datant de plus de trois ans ne peut être invoquée à l’appui d’une nouvelle sanction. Par conséquent, les mentions relatives à des sanctions anciennes doivent être retirées du dossier du salarié au-delà de ce délai.
Pour les fonctionnaires, l’article 18 de la loi du 13 juillet 1983 garantit le droit d’accès au dossier individuel et la possibilité de demander la suppression de mentions relatives à des fautes prescrites. Le Conseil d’État a précisé, dans une décision du 28 juin 2021, que l’administration est tenue de faire droit à une telle demande, sauf si la conservation de ces mentions est justifiée par un intérêt légitime, comme la protection d’autres agents ou des usagers du service public.
Ces règles relatives au traitement des mentions de fautes prescrites dans les dossiers professionnels s’inscrivent dans une logique de droit à l’oubli et de protection contre les discriminations fondées sur des comportements anciens qui ne peuvent plus juridiquement justifier une sanction.
Stratégies et enjeux pratiques face à la prescription disciplinaire
La gestion de la prescription disciplinaire constitue un enjeu stratégique majeur tant pour les employeurs et administrations que pour les salariés et agents publics. Une compréhension fine des mécanismes juridiques en jeu permet d’élaborer des stratégies adaptées aux différentes situations.
Stratégies pour les employeurs et administrations
Pour les employeurs et administrations, plusieurs approches peuvent être envisagées pour gérer efficacement les questions de prescription :
- La mise en place d’un système de veille et d’alerte permettant de détecter rapidement les comportements fautifs et d’engager les procédures disciplinaires dans les délais
- L’organisation d’enquêtes internes diligentes et documentées dès la suspicion de faits fautifs
- La conservation méthodique des preuves et la documentation précise des dates de découverte des faits
Une attention particulière doit être portée au point de départ du délai de prescription. Dans une décision remarquée du 17 janvier 2018, la Chambre sociale de la Cour de cassation a précisé que la connaissance des faits par l’employeur doit être effective et non simplement potentielle. Ainsi, la simple possibilité d’accéder à des informations révélant la faute ne suffit pas à faire courir le délai si l’employeur n’en a pas pris effectivement connaissance.
Pour les fautes dissimulées, comme les détournements de fonds ou les actes de corruption, la jurisprudence admet un report du point de départ de la prescription au jour de la découverte des faits. Ce principe, consacré par un arrêt de la Chambre sociale du 3 avril 2019, offre une protection aux employeurs face aux manœuvres frauduleuses visant à dissimuler des comportements répréhensibles.
Stratégies pour les salariés et agents publics
Du côté des salariés et agents publics, plusieurs stratégies défensives peuvent être déployées :
- L’invocation systématique de la prescription lorsque les délais sont expirés
- La contestation du point de départ du délai de prescription, notamment en démontrant que l’employeur ou l’administration avait connaissance des faits depuis plus longtemps qu’il ne le prétend
- La demande de suppression des mentions relatives à des fautes prescrites dans le dossier professionnel
La jurisprudence récente offre plusieurs illustrations de l’efficacité de ces stratégies. Dans un arrêt du 9 septembre 2020, la Chambre sociale a annulé un licenciement pour faute grave en constatant que l’employeur avait eu connaissance des faits reprochés plus de deux mois avant l’engagement de la procédure disciplinaire.
De même, le Conseil d’État a jugé, dans une décision du 12 février 2021, qu’un agent public pouvait valablement contester une sanction fondée sur des faits dont l’administration avait eu connaissance plus de trois ans auparavant, même si celle-ci invoquait une découverte plus récente de certains éléments complémentaires.
Les enjeux de preuve et de documentation
Les questions de preuve revêtent une importance capitale en matière de prescription disciplinaire. La charge de prouver la date de connaissance des faits pèse généralement sur l’employeur ou l’administration qui engage les poursuites.
Cette règle, confirmée par la Cour de cassation dans un arrêt du 21 octobre 2020, implique que l’employeur doit être en mesure de documenter précisément quand et comment il a eu connaissance des faits fautifs. À défaut, le risque est grand de voir la sanction annulée pour prescription.
Pour les salariés et agents publics, la conservation des échanges écrits (emails, notes, comptes rendus de réunions) mentionnant les faits reprochés peut s’avérer déterminante pour établir l’antériorité de la connaissance de ces faits par l’employeur ou l’administration.
La jurisprudence récente témoigne d’une approche de plus en plus exigeante des tribunaux quant à la qualité des preuves produites. Dans un arrêt du 7 avril 2021, la Chambre sociale a ainsi rejeté l’argument d’un employeur qui invoquait une découverte tardive des faits, en relevant que plusieurs indices antérieurs auraient dû l’alerter et justifiaient des investigations plus précoces.
Cette évolution jurisprudentielle incite les acteurs à mettre en place des systèmes de traçabilité et de documentation rigoureux, afin de pouvoir établir avec certitude les dates clés en cas de contentieux sur la prescription.
Évolutions récentes et perspectives d’avenir du régime de prescription disciplinaire
Le régime juridique de la prescription des fautes disciplinaires connaît des évolutions significatives, sous l’influence conjuguée des réformes législatives, des avancées jurisprudentielles et des transformations du monde du travail.
Les apports des réformes législatives récentes
Plusieurs réformes législatives récentes ont modifié le paysage de la prescription disciplinaire. La loi du 20 avril 2016 relative à la déontologie et aux droits et obligations des fonctionnaires a constitué une avancée majeure en introduisant un délai de prescription de trois ans dans la fonction publique, mettant fin à une longue période d’incertitude juridique.
Pour le secteur privé, si le délai de deux mois prévu par le Code du travail n’a pas été modifié récemment, la loi du 8 août 2016 relative au travail a apporté des précisions sur les procédures disciplinaires, notamment en matière de motivation des sanctions, qui ont des incidences indirectes sur le régime de prescription.
La loi du 18 novembre 2016 de modernisation de la justice du XXIe siècle a par ailleurs réformé en profondeur les règles de prescription en matière civile et pénale. Bien que ne concernant pas directement la prescription disciplinaire, cette réforme a influencé la jurisprudence, notamment sur les questions d’interruption et de suspension des délais.
Plus récemment, la loi du 24 août 2021 confortant le respect des principes de la République a introduit de nouvelles obligations déontologiques pour les agents publics, avec des incidences potentielles sur la qualification des fautes disciplinaires et, par voie de conséquence, sur leur régime de prescription.
L’influence des évolutions technologiques et organisationnelles
Les transformations numériques du monde du travail soulèvent de nouvelles questions en matière de prescription disciplinaire. L’utilisation croissante des outils numériques (emails, messageries instantanées, réseaux sociaux) multiplie les traces écrites des comportements professionnels et modifie les conditions de découverte et de preuve des fautes.
La jurisprudence s’adapte progressivement à ces évolutions. Dans un arrêt du 30 septembre 2020, la Chambre sociale a ainsi considéré que des messages publiés sur un réseau social professionnel pouvaient constituer le point de départ du délai de prescription, à condition que l’employeur y ait effectivement accédé.
L’essor du télétravail, accéléré par la crise sanitaire de la COVID-19, soulève également des questions inédites. Comment déterminer le point de départ de la prescription pour des fautes commises à distance ? Comment articuler les contrôles à distance avec le respect de la vie privée ? La CNIL et les tribunaux commencent à apporter des réponses à ces interrogations, dessinant progressivement un cadre juridique adapté aux nouvelles formes de travail.
Les organisations du travail elles-mêmes évoluent, avec le développement de structures matricielles, de la gestion par projet et de la mobilité professionnelle. Ces évolutions compliquent parfois l’identification de l’autorité ayant connaissance des faits et pouvoir de sanction, élément déterminant pour fixer le point de départ de la prescription.
Perspectives d’harmonisation et défis futurs
Face à la diversité des régimes de prescription disciplinaire selon les secteurs et les statuts, une tendance à l’harmonisation se dessine progressivement. Les différences entre secteur privé et fonction publique, entre les différentes professions réglementées, apparaissent de moins en moins justifiées dans un contexte de mobilité professionnelle croissante.
Plusieurs voix s’élèvent pour préconiser un allongement du délai de deux mois prévu dans le secteur privé, jugé trop court pour permettre des enquêtes approfondies, notamment en cas de fautes complexes comme les harcèlements ou les discriminations. Un alignement sur le délai de trois ans applicable dans la fonction publique pourrait constituer une piste d’évolution.
La question de l’imprescriptibilité de certaines fautes particulièrement graves fait également débat. Si le principe d’imprescriptibilité reste exceptionnel en droit français, certaines juridictions disciplinaires, comme le Conseil national de l’ordre des médecins, ont admis que des manquements d’une exceptionnelle gravité pouvaient échapper à la prescription.
Les instances européennes pourraient également influencer l’évolution du régime de prescription disciplinaire. La Cour européenne des droits de l’homme s’est prononcée à plusieurs reprises sur des questions connexes, comme le droit à un procès équitable en matière disciplinaire ou le principe de sécurité juridique, posant des jalons susceptibles d’orienter les futures réformes nationales.
À l’heure où les frontières entre vie professionnelle et vie personnelle deviennent plus poreuses, où les exigences éthiques et déontologiques se renforcent, le régime de prescription disciplinaire continuera sans doute d’évoluer pour trouver un équilibre entre la nécessité de sanctionner les comportements répréhensibles et le droit fondamental à la sécurité juridique.